Édito # Hors-série

L’indolence de l’obscurité

« Jeu de figures et d’ombres »

Avec ce hors série, Appendices inaugure le choix de consacrer ces feuillets spéciaux de la revue au travail d’un artiste, à qui carte blanche est donnée pour façonner comme il l’entend la forme et la structure de la revue. Au passage, Appendices prend les habits du livre d’artiste. Ce premier volet est consacré au travail de Pierre Baumann, artiste et universitaire. Sa pratique, sensible et soutenue, porte sur les relations de la sculpture à ses images colportées, sur le rapport entre virtualité et réalité, entre hapticité et opticité, entre unicité et réplication. Elle est fédérée par trois séries récentes : Les Sculptures qui n’existent pas, Les Easymades et Optiques. L’indolence de l’obscurité prolonge ces expériences et s’ouvre de manière plus licite à un nouveau champ, celui de l’écriture. Ce travail est un parcours « ludique », une expérience plastique qui articule simultanément le textuel et le visuel afin d’extraire des figures et des ombres au fil des vingt planches qui constituent l’ensemble de ce numéro. 
Les figures (du latin fingere « modeler ») sont conniventes au sculptural. Elles sont des empreintes du réel sans qu’on sache tout à fait à quel point elles se laissent emporter par l’imagination, « Les Figures se donnent comme pure tension » écrit Michel Guérin. Les ombres en sont voisines. Elles laissent échapper le sens – donnent de la distance, de l’épaisseur et de l’espace – et ont la vertu de créer de la dissemblance. Chaque folio est un fragment autonome, laconique voire lapidaire, qui agit comme une pellicule sensible en train de se développer, où l’image commence à apparaître, où l’histoire se révèle (et si la lumière se fixe, l’ombre aussi) à mots couverts. Ces documents (ils narrent la présence des objets et une série d’expériences) au-delà de « clicher » la réalité, engendrent une démarche inventive qui n’a de cesse d’interroger les résonances des apparitions que produisent nos appareils. 
Utiliser la camera obscura – machine archaïque de la photographie – pour comprendre les nouvelles technologies et les nouvelles images, tel est l’enjeu de ce travail qui se construit théoriquement sur de fines analyses de l’optique. Cette expérimentation, où le procédé donne champ à la répétition, aboutit ici à une série de prolégomènes : Entre réel et représentation, le lecteur, comme « mon amateur », doit errer pour trouver sa place…
 
Christophe Lopez